Des vies

Comment l’entraide, la solidarité, la famille et la foi permettent aux Libanais de survivre.
Je suis entrée dans chaque maison, appartement, tous très modestes, avec peu de meubles, juste le nécessaire, mais tous très propres et où toujours un saint ou une Vierge se trouvent à l’honneur.
Des habitants très dignes et surtout très accueillants. Un voisin n’a-t-il rien à manger ? On l’accueille à sa table. D’ailleurs nul ne vient en visite sans qu’on lui offre quelque chose.

Alfred & Zayzaf

Alfred a 84 ans, il s’occupe de sa femme qui souffre d’Alzheimer depuis 2 ans.
Il a été régisseur, puis chauffeur de taxi, mais il a dû arrêter de travailler afin de prendre soin de sa femme.
58 ans de mariage.
Il a lui-même des problèmes de santé.
Il n’a évidemment pas de retraite, ses enfants l’aident comme ils peuvent mais eux-mêmes ont du mal.
Ils commencent depuis quelques temps à vendre des ustensiles de cuisine et divers objets leur appartenant pour payer les médicaments et la nourriture. Une vie dure, mais pleine d’amour.
2 personnes debout côte à côte

Nicole & Aboud

Ils sont frère et sœur.
Ils sont légèrement retardés, leur maman s’occupait d’eux mais elle est morte.
Aboud travaillait mais ça, c‘était avant.
Je suis entrée chez eux. On y ressent une précarité extrême.
La paroisse est leur maison. Ils y trouvent réconfort et parfois aussi de quoi manger.
Joseph debout en marcel

Joseph

Il se juge chanceux car son fils , sa belle-fille et leurs 2 enfants vivent chez lui.
Il a 67 ans, il est hémiplégique et diabètique. Et il a de plus en plus de mal à marcher.
Il nous raconte la peine qu’il se donne à trouver les médicaments qui lui conviennent car on lui propose toujours des génériques qui lui provoquent des effets secondaires.
Il était fabricant de meubles -canapés, chaises, fauteuils….
Il a tenu à ce que je le montre comme il était ‘avant’ : un ‘Monsieur tout le monde’…
Madame Odette tenant son tricot

Madame Odette

Née en 1937, on peut dire qu’elle a traversé les temps de paix et de gloire du Liban, avant les guerres et maintenant les invasions. Elle a vu son pays changer… pas pour du mieux !

Elle est malade mais ne veut plus se soigner car ça coûte trop d’argent à sa fille et à son petit-fils qui ont déjà à peine de quoi vivre. Les médicaments coûtent 75$ par mois. Enfin, ça, c’est si elle les achetait…

Elle n’a évidemment pas les moyens d’avoir un groupe électrogène. Elle a donc de l’électricité au bon vouloir de EDL, c’est-à-dire un peu le matin, tôt, et le soir.
Pas de climatisation non plus, bien sûr. Quant aux WC, ils sont en extérieur.
Odette est une perle pleine de talent. Grande couturière, avec un goût très sûr et très chic, elle est aussi brodeuse et fait des tricots.

Son petit-fils est militaire et chauffeur. Comme la plupart des Libanais il a 2 jobs. Sa fille fait des ménages mais c‘est un secret.
Madame Odette montrant son tricot

Assad

Vous devinerez aisément que c’est un militaire. Il a 77 ans.
Au Liban il y a un grand respect pour les militaires, car ils défendent le pays et ses habitants.
Tous les Libanais ont au moins un militaire dans la famille.

Celui-ci a combattu contre Israël, la Syrie, les Palestiniens. Il a été blessé et a vu tomber beaucoup de ses camarades.
Un militaire était payé autrefois 1,200$ en moyenne. Ça, c’était ‘avant’! Aujourd’hui il touche 65$… Il a dû déménager car il ne pouvait plus payer son loyer. Assad est seul.

Avant qu’on parte, il nous a confié : « Je suis fidèle au pays et à l’armée, la politique ne m’intéresse pas. »
Caroline et Mona côte à côte

Mona

Elle est née en 1960. Elle était secrétaire de direction dans une entreprise internationale. Arabophone comme tout Libanais, elle parle aussi le français et l’anglais.
On peut dire que Mona est dévouée.
Elle s’est occupée de sa belle-mère -la femme de son père, de la sœur de celle-ci et bien sûr de son père, qui vit toujours.
Son père pourtant l’a abandonnée quand elle n’était qu’une enfant, et c’est vers ses 20 ans qu’elle est retournée vivre auprès de lui. Sa belle mère la maltraitait.

Quand Mona a pris sa « retraite », elle a pu la toucher, mais n’a pu que fort peu en profiter…
En effet, au Liban, la retraite se calcule comme suit : le salaire de la dernière année travaillée dans chaque société, multipliée chacun par le nombre d’années travaillées. Par exemple; un travail à 1.000$ pendant 20 ans, puis un autre emploi à 2.2000$ pendant 20 ans, cela fait un pactole de 60 000$ (soit 20 000+ 40 000). Une fois pour toutes !
Cette formule est la seule retraite qui existe au Liban, quand elle existe… Or non seulement Mona n’a pas reçu la somme due, mais ce qu‘elle a touché, elle l’a mis à la banque dans l’esprit d’en retirer un peu chaque mois pour vivre… Comme tant d’autres Libanais qui n’avaient jamais imaginé possible la totale faillite bancaire du pays, elle a tout perdu …

Mona se retrouve donc dans un grand état de précarité, sans enfant et avec un père à charge… Des parents de la famille de sa belle-mère dont elle s’est tant occupée cherchent maintenant à l’expulser de son logis.
3 personnes dont Louis sur un canapé

Louis

Que dire de cette petite famille…?
Louis a 84 ans, il a travaillé jusqu‘à 76 ans dans la même société. Il était magasinier dans une fabrique de conserves.

Son fils, sa belle-fille et son petit-fils vivent avec lui.
Au Liban, il est courant de travailler encore à l’âge de la retraite; officiellement, on la prend à 64 ans, mais ça n’arrive jamais.

Car depuis la crise, les salaires ayant chuté dramatiquement, les gens ont 2 emplois. C’est Dany qui a 58 ans et 32 ans d’armée derrière lui qui subvient aux besoins de la famille. Livreur, il gagne environ 300$.
4 personnes dont 3 enfants assis sur un canapé

Catherine et ses trois enfants

Catherine a trois enfants de 2, 3 et 9 ans.
Le mari de Catherine est garagiste à son compte.
Son mari est peu présent, semble non seulement ne pas se préoccuper de sa famille mais en outre n’être pas toujours ‘aimable’…

Un pot de lait en poudre de 500g coûte 20$…
En arrivant chez eux, la première impression qu’on éprouve est que tout ce monde paraît sous-alimenté.
Par bonheur, Catherine a un cousin qui lui laisse le logement gratuitement, et l’appartement dispose même d’un générateur. Il faut compter quelque 70$ par mois entre les factures d’électricité et du générateur.

Catherine prend grand soin de tout ce qu’on lu donne (habits, poussettes…) et les redonne après usage en bon état à quelqu’un d’autre, comme elle dans le besoin …

Rania

Voici encore un exemple qui nous démontre à quel point la famille est quelque chose de sacré au Liban. Elle demeure le fondement de la société libanaise.

Rania a 50 ans , elle vit avec son frère et sa sœur.
Son frère, Naguy, est maçon à son compte mais vu la situation du pays, ses revenus sont maigres. Margot sa sœur est vendeuse dans un magasin d’électroménager.
Rania est malade et a besoin de médicaments. Elle ne peut évidemment pas travailler.
Heureusement, elle peut rester seule.
Car Margot s’absente pour son travail 10 à 12 heures par jour, 6 jours par semaine ; c’est donc Naguy qui prépare les repas de la famille.
Jeanine entourée de ses parents

Jeanine

Jeanine, entre son père et sa mère.
Jeanine a 40ans , elle ne peut pas marcher, parle de façon peu claire mais elle comprend ce qu’on lui dit.

Elle est née avec ces handicaps et avec l‘âge devient parfois agressive. C’est l’une des conséquence de son infirmité.
Sa mère s’est toujours beaucoup occupée de Jeanine qui demandait énormément de soins, et ce fut sans doute parfois au détriment de ses autres enfants… Mais comment faire autrement ?

Ses parents ont 72 et 76 ans, ils n’ont évidemment pas de retraite et ce sont leurs autres enfants qui les aident, chacun à sa façon.
Il est arrivé que Jeanine soit internée à Baytouna-al-Jadid, le centre que j’ai visité, à cause de ses crises de violence ; mais cette solution était chaque fois un grand déchirement pour les parents…

Pour calmer Jeanine , on lui donnait des médicaments qui la rendaient certes beaucoup plus calme, mais qui l’empêchaient de contrôler ses besoins. Sa mère prie tous les soirs le Bon Dieu pour que Jeanine meurt une minute avant elle…
Arzé

Arzé

Arzé nous a envoyé une photo. Je n ai pas pu la rencontrer.

Elle gagne 100$ par mois , mais n’étant pas propriétaire de son logement, celui-ci lui coûte 50$ par mois.
Elle est séparée de son mari (ce qui est extrêmement rare au Liban), car il était alcoolique et la battait, ainsi que ses 3 filles, aujourd’hui mariées.
Ses filles sont également dans des situations précaires et ne peuvent pas l’aider.
Pour survivre elle est femme de ménage dans une école.

Son appartement a été touché par le feu. Grâce à la solidarité de sa communauté, il a pu être remis en état.

Layla

Je termine par Layla. Il m’a été extrêmement difficile de rentrer dans son intimité.

Layla a 67 ans. Handicapée de naissance d’une jambe, elle ne s’est jamais mariée.
Elle avait un magasin de jouets et elle se faisait un honneur d’en donner des lots pour la kermesse de sa communauté. Elle habitait avec sa mère.
Un jour elle n’a plus pu marcher. Sa mère s’est alors occupée d’elle, jusqu’à sa mort ; par la suite, Layla a perdu la vue. Elle se vit prisonnière d’un corps qui ne marche plus et qui ne voit plus. Elle passe ses journées alitée, SEULE.
C’est sa belle-soeur qui habite au-dessus de chez elle qui lui prépare son petit-déjeuner et qui lui change ses couches avant de partir travailler. Puis Layla doit attendre dans la solitude le retour vers 16 heures de sa Belle- sœur , qui alors lui prépare et lui donne son déjeuner.

« Pourquoi dois-je supporter tout cela ? Pourquoi le Bon Dieu ne m’a-t-il pas prise? » s’est plainte à nous Layla.

Au Liban, un pays qui traverse sans cesse des périodes de turbulence économique et politique, la dignité humaine continue de briller malgré les ombres de la pauvreté.
Les personnes qui résident dans ces circonstances difficiles méritent une admiration sans bornes pour leur résilience et leur capacité à préserver leur dignité.
Dans un contexte où les ressources sont rares et les perspectives incertaines, ces individus se tiennent debout avec une fierté inébranlable.
Leurs efforts pour maintenir leur dignité, leur intégrité, leur convivialité et leur amour-propre témoignent d’une force intérieure inestimable.

C’est un rappel puissant que la dignité humaine peut résister à n’importe quelles adversités, et ces héros rencontrés incarnent cet idéal avec une grâce inégalée.

Joëlle Feghali kmeid

Retour en haut